L’INFLUENCE DE LA MASSE
SUR LE FREINAGE

Le reportage Sport-Auto.ch du 18 novembre 2020

Rédaction : Bob de Graffenried
Photographies : Gaëtan Brunetti, Julien Cavioli, Bob de Graffenried

Dans les cours théoriques pour l’obtention du permis de conduire, l’effet de la masse du véhicule sur la distance de freinage n’est pas abordé, contrairement à l’effet de la vitesse. Intuitivement, il serait pourtant logique d’admettre qu’un véhicule plus lourd aura besoin d’une distance plus longue pour s’arrêter, l’énergie cinétique variant linéairement avec la masse. En même temps, certains véhicules de plusieurs tonnes donnent l’impression de freiner aussi bien que des voitures légères. D’où la question : les freins étant dimensionnés en fonction du véhicule, la masse a-t-elle vraiment une influence sur la distance de freinage ? Afin d’y voir plus clair, nous nous sommes rendus sur la piste de formation à la sécurité routière du TCS, à Cossonay.

Lorsque j’ai évoqué l’envie de faire ce test à mes collègues, les réactions ont fusé « Il faudrait faire une comparaison entre un SUV et ma Lotus » ou encore « ça n’a pas de sens, on sait qu’une voiture légère freine plus court, sinon pourquoi les voitures de course sont-elles si légères ? ». De mon point de vue, il n’aurait pas été cohérent d’opposer plusieurs véhicules équipés de freins différents, de pneus différents, de surfaces de contact au sol différentes ainsi que d’appuis aérodynamiques différents. Car si ça se trouve, ajoutés un à un, ces paramètres ont plus d’influence que la masse elle-même !

L’idée fut donc la suivante : effectuer des freinages avec le même véhicule à vide puis en augmentant sa masse à la charge maximale autorisée. L’idéal pour avoir une charge représentative de la réalité et bien répartie est d’avoir un véhicule à 7 places dans lequel on ajoutera encore du sable dans le coffre. Pour cette expérience inédite, Ford Suisse nous a mis à disposition le nouvel Explorer PHEV 3.0L V6 fort de 457 chevaux (lire notre essai ici). Et vu qu’il ne s’agit pas d’un modèle vraiment sportif, on ne pourra pas nous dire que ses freins sont surdimensionnés !

Nous avons ensuite demandé au pilote Yann Zimmer de venir effectuer une série de freinages d’urgence à vide, avant de répéter l’exercice l’auto chargée à bloc. Pour être précis, le Ford Explorer a tout d’abord été pesé à vide : 2’500 kg (valeur annoncée par Ford : 2’466 kg). Puis ce fut au tour de chacun de se peser afin de définir le nombre de sac de sable à mettre dans le coffre sans dépasser la valeur limite. Avec Yann au volant – le plus léger de la troupe, ça tombe bien ! – la configuration « à vide » pèse 2’565 kg.

Mais avant de partir, une prise de température s’impose. Sur les 10 participants, 5 prétendent que l’augmentation de la masse se traduira par une distance de freinage allongée, alors que les 5 autres – dont je fais partie ! – pensent que la masse ne jouera aucun rôle sur la distance de freinage. Dans notre sondage Instagram, vous avez été 56% à répondre en faveur d’un allongement de la distance d’arrêt lorsque la masse augmente. Mais savez-vous que d’après le magazine allemand Auto Motor und Sport, une Audi RS4 freine aussi bien qu’une Lotus Elise Club Racer et mieux qu’une Alfa Romeo 4C, presque deux fois plus légère ?

Yann s’élance tout d’abord sur le plat à une vitesse de 50 km/h avant de freiner à fond à trois reprises. Verdict : 11 mètres. Il s’élance ensuite à 100 km/h et réalise plusieurs freinages en 44 mètres. Grégory Junod, responsable de la piste du TCS qui coordonne les opérations, est content : « Lorsqu’on double la vitesse, la distance d’arrêt doit être multipliée par 4, ce qui se confirme parfaitement ici ». A noter que la théorie indique une distance de freinage de 12,5 m à 50 km/h et 50 m à 100 km/h. Première constatation : malgré ses plus de 2’500 kg, le Ford Explorer s’arrête sur une distance inférieure aux valeurs théoriques.

Yann répète ensuite l’exercice dans une descente de 9%. A 50 km/h, il lui faudra 1 mètre de plus que sur le plat, soit 12 mètres. Il répète ensuite l’exercice à 80 km/h et s’arrête en 33 mètres (la marge de sécurité ne permettant pas d’arriver à 100 km/h dans la descente).

Il est maintenant temps de charger le véhicule. Entre les 6 passagers et les 75 kg de sable, 559 kg ont été ajoutés, soit une augmentation de 22% portant la masse du Ford Explorer à 3’124 kg. Après adaptation de la pression des pneus, Yann s’élance d’abord sur le plat à 50 km/h et stoppe le Ford Explorer sur 11 mètres, soit la même distance qu’à vide. Grégory ne semble pas trop surpris et me lance « Tu vas voir, à 100 km/h, on va voir l’effet de la charge sur le freinage ! » Et cela se confirme : chargé à bloc, le Ford Explorer freine désormais en 45,5 mètres, soit 1,5 mètres de plus qu’à vide. Cet écart ne représente toutefois que 3,5% d’allongement de la distance d’arrêt. « Mais en cas d’accident, ça peut tout changer » glisse Grégory.

Grégory poursuit « Maintenant, dans la descente, la différence va être encore plus marquée. » Et pourtant, les freinages à 50 km/h donnent le même résultat, à savoir 12 mètres. La vidéo indiquera même une durée de freinage plus courte de 0.066 secondes en moyenne, soit une réduction de 45 cm à supposer que la décélération du véhicule soit constante (mesure par vidéo détaillée ci-après).

Mais le plus surprenant reste à venir. Lorsque Yann s’élance à 80 km/h avec ses 6 camarades masqués et les 75 kg de sable virevoltant à chaque « saut » dans la descente, le suspense est à son comble. Yann plante sur les freins et réalise l’impossible : il freine en 31,5 mètres, soit 1,5 mètre de moins qu’à vide ! Grégory regarde Yann d’un air pantois « Là c’est pas possible, tu as dû freiner avant les cônes ! » Le freinage à 80 km/h sera effectué 5 fois, mais la distance nécessaire sera systématiquement plus courte qu’à vide.

Mais comment cela est-ce possible ? Les images vont nous permettre d’affiner l’hypothèse émise lors du débriefing sur place. Une vingtaine de mètres avant le point de freinage, le passage du plat à la descente se fait de manière très nette, ce qui représente une décompression pour le véhicule qui décolle légèrement. Avant de retrouver une assiette stable, la caisse du véhicule oscille ensuite à plusieurs reprises.

Lorsqu’il n’y a que le conducteur à bord du Ford Explorer, la vidéo montre que le freinage va réduire ce mouvement d’oscillation ; l’arrière se déleste durant tout le freinage. Mais lorsqu’il est chargé de 559 kg supplémentaires, l’oscillation du train arrière perdure, ce qui laisse supposer que les roues arrière vont pouvoir retransmettre davantage de force de freinage au sol, d’où une distance de freinage réduite. Afin de valider pleinement cette hypothèse, il aurait fallu comparer le résultat avec un freinage réalisé dans une descente sans décompression préalable, puisqu’il s’agit là d’un cas très particulier indépendant de notre volonté.

En conclusion, l’effet de la masse sur la distance de freinage n’a pas encore livré tous ses secrets. Outre la descente qui s’est finalement avérée être un contre-exemple dans ce cas précis, il serait intéressant de réaliser cet exercice sur revêtement mouillé et enneigé, ainsi que de comparer les tendances entre différents véhicules à vide et chargés. Certains véhicules de transport, comme le Bucher Duro de l’armée suisse, sont par exemple conçus pour s’arrêter sur une distance plus courte chargés qu’à vide.

Est-ce que cela signifie que l’on peut négliger l’effet d’une charge importante lorsque l’on conduit son véhicule ? Certainement pas, car si l’effet sur le freinage en ligne droite s’est avéré très faible dans le cas présent, il n’en sera pas de même pour la tenue de route en virage. De plus, les expériences ici réalisées ne constituent pas une vérité absolue pour tous les véhicules et pour toutes les vitesses. La surface de contact au sol, la répartition du freinage, le centre de gravité et le dimensionnement des freins par rapport à la charge ajoutée peuvent notamment changer la donne.

 

Remerciements

Merci au personnel du Centre de conduite TCS de Cossonay pour son accueil, ses conseils et sa disponibilité, ainsi qu’à Ford Suisse pour le prêt de ce Ford Explorer PHEV.

Méthode de mesure :

 

1. Chaque cas différent a été répété entre 3 et 5 fois en fonction du résultat obtenu.

2. La vitesse du véhicule a été réglée au régulateur de vitesse et validée par le radar présent sur place.

3. La distance de freinage a été mesurée au sol. La vidéo capturée par drone à 120 images/sec a permis ensuite de valider les résultats, en chronométrant la durée entre l’apparition du feu de stop et l’arrêt du véhicule. Calculer précisément la distance d’arrêt d’après la durée du freinage serait inexact, la décélération du véhicule n’étant pas forcément constante (il est donc impossible de connaître précisément la vitesse moyenne durant le freinage). Toutefois, les durées mesurées permettent de déterminer si une distance de freinage est plus courte ou plus longue qu’une autre.

Tous nos essais de A à Z :