Eugénie Decré et Jérôme Pélichet – Dakar 2015[/caption] Tout juste de retour d’Amérique latine, où elle a décroché une remarquable 26e place au Dakar 2015, Eugénie Decré a immédiatement accepté de nous livrer son témoignage lorsque nous l’avons contactée. La Genevoise disputait son 6e Dakar en tant que navigatrice. Lors de cet édition, elle épaulait le Français Jérôme Pélichet à bord de la Toyota Hilux n° 362. Eugénie, en premier lieu, félicitations pour ce splendide résultat. Je crois savoir que l’objectif que ton équipe s’était fixé est atteint. Nous avons pu suivre votre classement étape par étape, mais relativement peu d’informations nous sont parvenues sur votre course. Peux-tu nous en dire plus sur les moments forts de ton Dakar ?
Eugénie Decré : Merci Sébastien, nous sommes ravis de ce résultat; finir le Dakar est déjà un exploit en soi. La 26e est une place très honorable au vu du plateau qui, cette année, était fort de 139 partants, dont une quarantaine d’autos de pointe grandement bien menées. Le Rallye du Dakar est sans aucune mesure le rallye le plus difficile au monde, c’est avant tout un dépassement des hommes et de leurs machines. Nous avons eu de forts changements de météo (pluie, chaleur, grêle, et ce parfois le même jour), des écarts de températures de plus de 30°C, des passages en altitude dépassant à plusieurs reprises les 4’000 mètres, que ce soit en liaison ou en spéciale. Et cette fameuse poussière, transformant un certain nombre de kilomètres en jour blanc, sans oublier de longues liaisons s’ajoutant à la liste. Les moments à la limite de l’endormissement sont souvent présents dans ces conditions, la gestion de la fatigue a été primordiale.Sur les 9’000 kilomètres parcourus en deux semaines, vous avez forcement vécu des galères. Quelle a été la pire ?
Eugénie Decré : Effectivement, au vu du parcours, il est très rare de ne pas vivre de galères; toutefois, cette année, elles n’étaient point trop importantes. Le 2e jour, en direction de San Juan, une étape annoncée sélective, la température était de 47°C extérieure, à laquelle on peut ajouter plus d’une dizaine de degrés dans l’habitacle. La Toyota a aussi subi la chaleur : l’essence avait tendance à s’évaporer, ce que l’on appelle plus communément le «Vapor Lock ». Nous nous sommes « tanké » 3 fois dans le fesh fesh, « dans ce cas, des ornières de plus d’une soixantaine de centimètres s’étaient formées d’un sable mou créant une forte poussière épaisse et stagnante ». Ces moments nécessitent une forte gestion des efforts physiques et de la mécanique afin de pouvoir passer les sommets des dunes par la suite. Fallait voir nos têtes, méconnaissables à l’arrivée ! (rires) Sur l’étape 5 Copapo – Antofagastra, les pierres étaient les reines du jour : nous subissons 3 crevaisons, malheureusement nous n’avions que 2 roues de secours. La punition a été d’attendre 35 minutes qu’un concurrent au grand cœur nous laisse une roue afin de pouvoir finir la spéciale. Ce fut un grand moment de solitude, les minutes paraissaient s’être multipliées.Peut-être plus que dans n’importe autre rallye, la navigation est primordiale. Peux-tu nous dire en quelques mots, quel est ton rôle dans la voiture ? C’est toi la patronne ?
Eugénie Decré : (rires) Effectivement, le rôle de navigateur en rallye-raid est primordial, c’est lui/elle qui guide la danse. Vous pouvez avoir le meilleur pilote au volant, si le navigateur l’envoie à l’opposé, il ne pourra jamais réaliser un temps. Pour la petite explication, nous avons un GPS dévoilant uniquement ce que l’organisateur souhaite nous donner, un road-book délivré la veille de chaque étape, et un descriptif de la spéciale. Un grand travail de préparation est donc réalisé la veille, l’étude du road-book et toutes les informations données sur l’étape du lendemain. Le jour J, nous devons être très pointus sur la navigation; le road-book nous indique les changements de CAP essentiels à suivre, sous peine de jardiner (terme de tourner pour trouver le parcours ou un point GPS à valider), les directions à prendre aux carrefours sont parfois peu visibles, et aussi, l’annonce des dangers qui se font sous un décompte précis de la distance, ce qui va permettre au pilote de câler son freinage. Certains repères sont indiqués, ce qui rassure sur la direction. L’expérience du terrain est aussi un atout non négligeable. La concentration est primordiale.On a pu voir à la télévision des paysages d’Argentine, du Chili et de la Bolivie à couper le souffle… A-t-on le temps d’en profiter durant la course ?
Eugénie Decré : Oh oui, l’Amérique du Sud offre des paysages magiques ! Au passage de la frontière entre l’Argentine et le Chili, le panorama nous offre un panel de couleurs de vert émeraude, de jaune coquelicot, de rouge ocre, le blanc des sommets enneigés, et aussi des champs de cactus aux nombreuses formes. La Cordillère des Andes nous transporte par ses images extraordinaires. Au Chili, l’on peut voir une immense dune au bord de la ville d’Iquique, sans parler du bivouac entre le Pacifique et les dunes géantes, ce qui nous transporte dans un autre monde. La Bolivie était une découverte sans commune mesure avec ses montagnes et son salar d’Uyuni à perte de vue.Franchir la ligne d’arrivée d’une telle épreuve doit être un grand moment. Qu’est-ce que tu as ressenti ?
Eugénie Decré : Heureuse, un grand moment d’émotion et de respect pour les mécaniciens qui ont réalisé un travail exceptionnel avec plusieurs nuits blanches. Car si l’homme doit se dépasser, la mécanique aussi a son lot de fatigue. Mais aussi le blues de la fin de rallye, le vide avec cette petite voix qui dit : « Allez, plus que 11 mois pour le prochain départ » (large sourire)Le Dakar est un des rallyes les plus durs au monde, tu y as connu pas mal de déconvenues et même un grave accident en 2012… Qu’est ce que qui fait que finalement, on veut toujours y revenir ?
Eugénie Decré : C’est une drogue ! En 1997, quand j’ai commencé le sport mécanique en slalom et côte, c’était devenu inimaginable de vivre sans. En 2000, je réalise mon rêve d’enfance en participant à mon 1er rallye, depuis cela ne s’est jamais arrêté, sauf cette pause forcée en 2012. Le 1er rallye-raid, avec le Rallye de Tunisie en 2005, a été la piqure du désert. La magie du rallye-raid a été pour moi la consolidation de ce que j’aime le plus dans la vie : la vitesse, les voitures de course, les voyages, le désert, la découverte de pays et de leur population, sans oublier ce côté humain de la famille du rallye.Donc, rendez-vous en 2016 ?
Eugénie Decré : Pour sûr, rendez-vous en 2016 en Amérique du Sud ! L’organisateur nous a déjà fait rêver quand il avait évoqué le Dakar Pacifique, une possibilité du Dakar 2016 avec une traversée du nord au sud, avec un départ en Colombie; puis l’Équateur, le Pérou, le Chili, et une arrivée en Argentine. Plus réaliste, « radio-bivouac » parle d’un retour au Pérou, un éventuel passage au Brésil et au Paraguay. Il va falloir attendre le mois de mars pour connaître la prochaine épopée.Merci beaucoup, Eugénie, de nous avoir fait rêver et voyager… c’est très gentil de nous avoir accordé de ton temps, à peine descendue de l’avion en provenance de Buenos Aires. Bonne récupération ! Photos mises à disposition par Eugénie Decré]]>