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Aston Martin bientôt de retour dans la catégorie reine au Mans?

L’édition 2019 des 24 Heures du Mans coïncide avec le 60e anniversaire de la première et pour l’instant unique victoire d’Aston Martin au classement général. La marque britannique, engagée aujourd’hui uniquement dans la catégorie LM-GT, effectuera-t-elle bientôt son grand retour dans la catégorie reine au Mans? Profitera-t-elle de l’arrivée d’une nouvelle réglementation afin de viser à nouveau la victoire absolue avec ses futurs modèles à moteur central? Voici ce que nous a répondu David King, le vice-président d’Aston Martin Lagonda, en charge des départements Special Operations Officer et Aston Martin Racing, lors de l’entretien exclusif qu’il a accordé à Sport-Auto.ch.

David King, êtes-vous satisfait de la nouvelle réglementation qui se dessine en vue du futur championnat du monde d’endurance?

David King : « Différents points de la nouvelle réglementation doivent encore être débattus. Il y a encore beaucoup d’éléments à détailler, notamment en ce qui concerne les coûts. Les discussions avec l’ACO et la FIA ne sont pas terminées. »

Les premiers échos relatifs à cette nouvelle réglementation laissent entendre qu’Aston Martin disposerait d’une arme redoutable avec la Valkyrie…

David King : « Nous avons en fait différentes options: la Valkyrie, certes, mais également les modèles dérivés des futures 003 et Vanquish Vision Concept. »

Combien y a-t-il de chances qu’Aston retourne dans la catégorie reine du championnat du monde d’endurance, plus connu sous son appellation anglaise WEC pour World Endurance Championship?

David King : « La seule chose que nous pouvons dire publiquement, c’est que nous trouvons très séduisante l’idée de rejoindre à nouveau la catégorie reine du WEC. Cela ne veut pas dire pour autant que nous la rejoindrons. Pour que cette séduisante idée se concrétise, la réglementation doit nous convenir, le moment choisi pour revenir au sommet doit être le bon au sein d’Aston Martin et, last but not least, nous devons trouver le moyen de financer tout cela. Un engagement au sommet du WEC implique d’investir de très importantes sommes d’argent qu’une firme telle qu’Aston Martin ne peut pas réunir sans l’aide de soutiens extérieurs. Nous avons ainsi besoin de sponsors pour un tel projet. »

La manufacture horlogère suisse TAG Heuer pourrait-elle être par exemple un de ces sponsors?

David King : « Nous avons actuellement une très bonne relation avec TAG Heuer en LM-GT. Mais, comme je l’ai déjà relevé, les moyens financiers nécessaires pour nous battre dans la catégorie reine du WEC sont beaucoup plus importants. Il ne faut pas oublier que, malgré tous les succès que nous avons obtenus ces dernières années aussi bien au niveau sportif que commercial, nous restons un petit constructeur alors que nos adversaires, actuels ou futurs, peuvent s’appuyer sur le soutien de grands groupes. En résumé, il y a de bonnes chances que nous nous engagions à un plus haut niveau mais cela est encore loin d’être une certitude à l’heure actuelle. »

Vous aviez dit l’année passée que le sport avait besoin de «top class cars» au Mans, à savoir de voitures qui font rêver comme cela avait été le cas au début des années 70 avec les Porsche 917 ou les Ferrari 512. Pouvez-vous nous préciser votre point de vue?

David King : « Une épreuve telle que les 24 Heures du Mans est une course tellement importante pour le sport automobile mondial qu’elle mériterait que des marques renommées telles que Ferrari, Porsche et Aston Martin se battent pour la victoire au classement général. Il était certes intéressant d’avoir eu, à un certain moment, de grandes marques comme Audi, Peugeot et Toyota, cela a été bénéfique pour la visibilité des courses d’endurance mais le public a envie de voir des voitures de sport. Les spectateurs ont envie de voir des marques sportives avec des voitures de sport qui ressemblent aux modèles routiers et non pas des prototypes qui sont beaucoup trop éloignés des voitures de série. Peu importe pour quel constructeur vous travaillez, les grandes batailles avec les Ford GT40, les Porsche 917, les Ferrari, les Alpine et autres Lola, qui étaient susceptibles d’être immatriculées sur la route dans les années 60 et 70, témoignent, aujourd’hui encore, d’une des périodes les plus formidables des courses d’endurance. Le législateur devrait rendre de telles batailles à nouveau possibles à l’avenir. »

On a cependant déjà revu une telle catégorie dans les années 90 avec la Porsche 911 GT1, les Mercedes CLK-GTR et autres Nissan et Toyota plus ou moins de série.

David King : « C’est vrai mais Ferrari ou Aston Martin n’y avaient pas participé. »

Quelle est l’aide que vous fournit Red Bull dans la réalisation de l’Aston Martin Valkyrie?

David King : « Le point principal est la participation d’Adrian Newey en tant que père de la Valkyrie. »

La filiation entre la Valkyrie et Adrian Newey peut ainsi être comparée à celle entre la McLaren F1, qui a remporté les 24 Heures du Mans en 1995, et son concepteur Gordon Murray, ingénieur qui a remporté lui aussi de nombreux succès en Formule 1…

David King : « Tout à fait. Adrian Newey avait une idée bien précise du package à fournir, notamment au niveau de l’aérodynamique et des différents éléments mécaniques. Il a demandé à ses équipes d’ingénieurs d’élaborer quelque chose d’inédit. Ils ont effectué des simulations tout en concrétisant de nombreux projets avec le soutien de notre propre équipe de design chapeautée par Marek Reichmann. Il faut savoir que la Valkyrie est un projet qui réunit trois partenaires: Red Bull avec les équipes d’Adrian Newey, Aston Martin avec l’équipe de Marek Reichman et, enfin, ma propre équipe du département Special Operations. Nous effectuons du travail d’ingénierie et de développement. Nous menons également les essais et, à la fin, c’est notre équipe qui produira la voiture. »

Un mot sur l’apport d’Adrian Newey…

David King : « Il nous apporte une expérience et une expertise incroyables. Il ne faut pas non plus oublier sa réputation qui est mondiale. Il est, à mon avis, le plus grand concepteur de F1 de tous les temps. Sa présence dans le projet nous a également permis d’accéder à l’expertise de l’équipe Red Bull de F1 dans la réalisation de la Valkyrie, une voiture extraordinaire à tous points de vue. Nous aurions certes pu créer nous-mêmes une hypercar mais elle n’aurait comporté que 80% des solutions que notre future Vanquish à moteur central proposera à ses heureux acheteurs. »

Et quel est l’apport de la société croate Rimac?

David King : « C’est elle qui fournit les batteries. Elle travaille également avec Porsche et possède une très grande expertise dans la construction de batteries de pointe qui sont ce qui se fait de mieux actuellement. Nous pourrions nous lancer nous aussi dans la construction de telles batteries mais cela nécessiterait de très importants investissements alors que leurs batteries sont disponibles à la vente. »

Vous économisez ainsi du temps et de l’argent…

David King : « Ce n’est pas seulement du temps et de l’argent, c’est la garantie d’obtenir ce qui se fait de mieux. Il en va de même pour Cosworth et Bosch qui sont également impliqués dans le projet Valkyrie. »

Quel est l’importance de la Suisse pour Aston Martin ?

David King : « Elle est considérable. Nous avons par exemple un pourcentage très élevé de clients suisses pour les voitures issues de mon département Special Operations, ainsi que pour les séries limitées. Ce pourcentage est de l’ordre de 15 à 20%, ce qui est très important compte tenu de la taille de votre pays. »

Un autre lien avec la Suisse est votre partenariat avec TAG Heuer…

David King : « Oui, c’est vraiment un partenariat win-win. TAG Heuer est également partenaire de l’écurie de F1 Aston Martin Red Bull. Il est également très appréciable que TAG Heuer soutienne actuellement notre engagement dans le WEC et aux 24 Heures du Mans en LM-GT. Les équipes de TAG Heuer fabriquent de très belles montres. J’ai d’ailleurs moi-même une TAG Heuer Aston Martin «Special Version» avec les couleurs vert lime. Il s’agit d’un partenariat à long terme qui est vraiment très important pour nous. Nous avons en effet beaucoup de points communs avec eux dans le domaine du luxe. »

Toujours à propos de la Suisse, le centre d’Aston Martin St-Gall est l’un des plus beaux au monde. Vous y êtes-vous déjà rendu?

David King : « Oui, Aston Martin St-Gall nous a acheté plusieurs véhicules de notre département Special Operations et nous leur avons accordé la licence pour qu’ils puissent courir avec des Aston Martin en DTM. »

Suivrez-vous des courses du DTM? David King : « Je vais essayer. Si j’ai le temps oui. Je suis allé aussi bien à Sebring qu’à Spa pour le WEC et serai également présent aux 24 Heures du Nürburgring et aux 24 Heures du Mans. »

A propos du Mans, avez-vous prévu quelque chose de spécial pour célébrer les 60 ans de votre victoire au classement général?

David King : « Oui, plusieurs opérations sont prévues mais davantage que les célébrations, ce sont les victoires actuelles qui m’intéressent. Vous savez, 60 ans c’est très loin pour certains de nos clients. Personnellement je préfère communiquer sur nos succès actuels même si je me souviens avec beaucoup de plaisir de notre engagement il y a 10 ans avec les Lola Aston Martin dont une était conduite par votre compatriote Harold Primat. J’étais d’ailleurs présent à Crans-Montana lorsque Harold Primat avait présenté notre engagement en compétition. Il y avait également l’acteur Roger Moore. J’étais assis à côté de lui lors de la présentation. Ce sont d’excellents souvenirs et je me souviens qu’une Lola Aston Martin avait terminé 4e au classement général aux 24 Heures du Mans de 2009 derrière deux Peugeot et une Audi. Sachez également que je suis venu skier deux fois à Crans-Montana, les deux fois avec Harold Primat. Ce furent à chaque fois deux formidables week-ends. »

Pour en revenir au salon de Genève, certains observateurs étaient déçus que votre nouveau SUV, l’Aston Martin DBX, n’y était pas exposé. Vous y avez seulement dévoilé quelques photos de ce nouveau SUV, encore quelque peu camouflé avec différents autocollants de TAG Heuer. Pour quelles raisons, selon vous, les SUV ont-ils tellement de succès actuellement au point que non seulement BMW, Mercedes et Porsche, mais également Bentley, Lamborghini, Rolls-Royce et désormais Aston Martin s’aventurent sur ce segment?

David King : « Le succès des SUV s’explique par le fait qu’ils répondent à une véritable demande de la clientèle. De nos jours, de plus en plus d’automobilistes ressentent le besoin de conduire en position haute. Ils voient ainsi plus loin. Ils se sentent également davantage en sécurité au volant d’un SUV. »

La DBX pourrait être une voiture intéressante pour le Dakar, non?

David King : « Je suis tout à fait de votre avis. A titre personnel, je trouverais cela fantastique. Les images du film que nous avons présenté au Salon de Genève (Ndlr: film que l’on peut voir à partir de ce lien https://www.youtube.com/watch?time_continue=32&v=Pe4xxgVifiM ) ont d’ailleurs été tournées sur des épreuves spéciales du Welsh Rally. C’est sur ces épreuves spéciales que sont testées les voitures de WRC. »

Vous avez disputé vous aussi des rallyes dans votre jeunesse… (C’est alors que nous présentons à David King une photo de lui qui date d’il y a plus de 30 ans et sur laquelle on le voit devant sa Ford Escort de rallye)

David King : « C’est incroyable ça, vous avez vraiment très bien préparé cet entretien. Oui, c’est tout à fait vrai que j’ai disputé des rallyes dans ma jeunesse, avant tout en tant que copilote mais également en tant que pilote car j’étais le propriétaire de la voiture. C’était à la fin des années 80, j’étais alors encore étudiant et je n’avais pas beaucoup d’argent. J’ai par ailleurs eu un accident au Welsh Rally que nous avions évoqué tout à l’heure. (rires) En tout cas, vous savez beaucoup de choses sur moi. Vous avez dû effectuer passablement de recherches. Félicitations! »

Merci, c’est très aimable de votre part et vous avez raison. En préparant cet entretien, j’ai d’ailleurs également lu que vous étiez allé à Donington en 1981 et que vous étiez un grand passionné de F3…

David King : « C’est encore une fois exact. J’adorais les courses de F3 et le pilote suédois Stefan Johansson était mon pilote préféré. Il a d’ailleurs remporté le championnat britannique de F3, en 1981 je crois. (Ndlr.: c’était en fait en 1980). C’est une période de mon adolescence dont je me souviens avec beaucoup de plaisir. D’ailleurs, il y a quelques jours, j’ai retrouvé de vieilles photos, très intéressantes. Entre autres une photo de ma chambre. (Il prend son téléphone portable et nous montre un poster de Stefan Johansson sur un des murs de sa chambre). J’avais aussi un poster de Gilles Villeneuve et un autre de Ronnie Peterson avec un article relatant l’accident dont il avait été victime à Monza en 1978 et qui avait finalement eu des conséquences fatales. Ronnie Peterson était mon premier véritable héros. »

Je me souviens très bien de cet accident. Ronnie Peterson est mort le 11 septembre 1978, un autre 11 septembre particulièrement triste…

David King : « C’est vrai. Après sa mort, à l’école, j’ai porté un t-shirt noir pendant deux semaines tellement le décès de ce très grand champion m’avait touché. Je possède d’ailleurs toujours le livre de Ronnie Peterson qui s’appelle Super Swede. C’est un des livres auquel je tiens le plus. »

On relèvera, en guise de conclusion à cet interview que nous accordé David King, que ce livre retraçant la biographie de Ronnie Peterson a inspiré un film qui est sorti en 2017 au cinéma et qui s’appelle lui aussi Super Swede. A propos de Ronnie Peterson, on rappellera que Magnus Eriksson, le pilote suédois qui a couru jusqu’à la fin de la saison dernière pour l’écurie suisse Sauber, avait préparé une petite cérémonie, l’an passé, au Grand Prix d’Italie à Monza, afin de célébrer le 40e anniversaire de sa disparition en compagnie de Nina Kennedy, la fille de Ronnie et Barbra Petersson.

Ironie du sort, Magnus Eriksson devait être victime lui aussi d’un très grave accident, qui aurait très bien pu lui coûter la vie, au même endroit que Ronnie Peterson il y a 40 ans. On ajoutera enfin que David King n’a pas été le seul à avoir été marqué par la mort de Ronnie Peterson. L’ancien pilote suisse de Formule 1 Loris Kessel, décédé lui aussi beaucoup trop tôt, a en effet baptisé son fils Ronnie afin de rendre hommage au pilote suédois. C’est ce même Ronnie Kessel qui engage cette année aux 24 Heures du Mans la Ferrari 488 que conduira la Suissesse Rahel Frey en compagnie de la Danoise Michelle Gatting et de l’Italienne Manuela Gostner. Il s’agira du seul équipage 100% féminin inscrit cette année à la grande classique mancelle.

Remerciements: nous tenons à exprimer ici nos plus vifs remerciements à Bettina Waldhart, chargée des relations presse pour Aston Martin Lagonda en France et en Suisse, qui a rendu possible notre entretien avec David King.

Crédits des photos: Bob de Graffenried, Aston Martin et DR

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