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Interview exclusive avec Frédéric Vasseur – Team principal de Alfa Romeo F1 Team ORLEN

  
Le 30 mars dernier, nous avons eu l’occasion de nous rendre à Hinwil pour la présentation du nouveau SUV d’Alfa Romeo, le Tonale. Cette présentation a été suivie de la visite de l’usine de Sauber Motorsport durant un peu plus d’une heure et la fin de la journée s’est terminée de la plus belle des manières puisque nous avons eu le privilège d’interviewer le «Team Principal» Frédéric Vasseur. Nous le remercions d’ailleurs chaleureusement ainsi que William Ponissi, «Senior Communications Manager», qui nous a grandement aidé à organiser cette rencontre.

 

Frédéric Vasseur, pouvez-vous nous résumer votre parcours avant votre arrivée en 2017 chez Sauber à Hinwil ?

Je suis venu à ce métier par la passion de mon enfance, le karting. A l’âge de 17-18 ans, ma mère m’a convaincu de continuer mes études, ce qui m’a amené à faire une école d’ingénieurs. En parallèle j’ai monté une équipe de Formule Renault au début des années 90. Au départ, nous n’étions qu’une petite équipe mais nous avons rapidement eu du succès. Notamment, avec le titre de vice-champion de France en 1991. Nous avons ensuite accédé à la Formule 3 et, à ce moment, j’ai créé une nouvelle compagnie, RTL afin de construire le moteur Renault pour le championnat de Formule 3. Les choses se sont rapidement enchaînées et l’équipe est devenue championne de France en 1998 avec nos propres moteurs. C’était une première de gagner en étant à la fois constructeur et motoriste. Ensuite, avec l’évolution des championnats, nous avons participé à la Formule 3 Euroseries dès 2003, ce qui a été un des premiers tournants pour l’entreprise qui, jusqu’alors, évoluait dans les championnats nationaux. A ce moment-là, nous avons commencé à collaborer avec Mercedes et avons gagnés sept fois d’affilée le championnat d’Europe, soit de 2004 à 2010. En 2004, j’ai également fondé en parallèle, avec Nicolas Todt, l’équipe ART, pour courir en GP2. Comme cela se passait bien en Formule 3, nous avons voulu franchir un cap. En Formule 3, nous avons eu d’excellents pilotes, comme par exemple Lewis Hamilton.  D’ailleurs, près de la moitié de la grille de Formule 1 actuelle est passée chez nous.

Et pour finir, en parallèle toujours, j’avais monté en 2012 une autre société, appelée Spark, afin de construire tous les châssis de Formule E. Cette société ne m’appartient plus désormais. En fait, la Formule 1 n’a jamais été l’objectif final pour moi. J’étais plutôt dans une démarche d’entrepreneur. Même si, par le passé, j’ai eu plusieurs contacts avec Renault, ce n’est toutefois qu’en 2015 que je les ai rejoints. Mais l’année a été un peu compliquée, essentiellement en raison de problèmes d’organisation interne. J’ai ainsi préféré partir après seulement une année et c’est donc pendant l’été 2017 que je suis arrivé chez Sauber.

Quelles sont les qualités principales pour exercer la fonction de «Team Principal»?

Pour exercer ce métier, la passion est primordiale. C’est un métier très prenant qui demande un engagement complet. Et cela, on ne peut le faire que si l’on est passionné. Si l’on regarde le profil des autres «Team Principals», il y a différents profils: des ingénieurs, des anciens pilotes, des gens qui viennent du monde entrepreneurial. Il y a eu aussi Jean Todt qui était co-pilote en rallye. Évidemment, il faut aussi des qualités d’organisation et avoir de la rigueur, ce qui, en définitive, est propre à tout chef d’entreprise.

 

Vous habitez en Suisse, comme vous y sentez-vous? Et comme percevez-vous le sport automobile dans notre pays?

Je vis en Suisse tout en étant 150 jours par an sur les circuits (rires)! J’aime bien la vie ici, tout y est bien organisé. C’est facile et rapide. Venant de Paris, c’est le paradis. Il y a donc une vraie qualité de vie en Suisse. Mais en Formule 1, on est toujours déconnecté du pays dans lequel on se trouve. Chez Sauber, on est plus de 500 employés et il y a environ 37 nationalités. C’est donc très cosmopolite. Finalement, il y a passablement de similitudes entre les équipes de Formule 1, qu’elles soient suisse, française, italienne ou anglaise. A la fin, c’est avant tout un environnement de passionnés avec beaucoup de nationalités. On ne peut pas dire que l’image d’une équipe soit à 100% celle du pays dans laquelle elle se trouve, hormis peut-être Ferrari.

 

Pour terminer ce chapitre helvétique, pensez-vous qu’un pilote suisse pourra à nouveau courir en F1?  Il y a Grégoire Saucy qui court chez ART et qui semble promis à un bel avenir, non?

Je suis sûr qu’un Suisse pourra revenir en Formule 1, rien ne l’empêche ou l’interdit. Le fait qu’il y ait moins de culture «circuit» ou « karting» en Suisse n’aide pas les tout jeunes à accéder au sport autobile. Ceux qui l’ont fait ces dernières années, comme Romain Grosjean ou Nicolas Lapierre, tous deux franco-suisses, sont souvent des pilotes qui possèdent la double nationalité. Grégoire Saucy est un peu atypique dans le monde de la course car il s’est révélé assez tard. C’est quelqu’un qui me bluffe. Il a eu un début un peu chaotique et, soudainement, en Formule Renault, il se révèle et réalise de super performances. D’ailleurs, sans dévoiler de secrets, on le mettra prochainement au simulateur de F1 pour le tester. Il possède à peu près tout ce qu’il faut pour gravir les échelons. Mais, pour l’instant, le plus important, ce sont ses performances en Formule 3.

Un thème inévitable est celui de la durabilité. Depuis cette année, 10% du carburant utilisé est renouvelable. La Formule 1 doit-elle en faire encore davantage?

C’est indéniable qu’on doit toujours en faire plus. Mais critiquer l’impact environnemental de la Formule 1 est aussi contestable car, depuis très longtemps, la discipline a accompli d’énormes efforts. Par exemple l’introduction du KERS (Kinetic Energy Recovery System) dans les années 2000, suivi de la seconde étape d’hybridation avec le MGU-H en 2014. Les courses sont également rationnées en essence. En fait, on a de très loin les moteurs les plus efficients du monde. On a introduit l’hybridation il y a 20 ans mais, pour des raisons culturelles, nous avons toujours été très timides pour le communiquer. Il y a beaucoup d’autres disciplines qui revendiquent et communiquent beaucoup plus et qui en font beaucoup moins ou qui sont bien moins vertueuses. Nous avons donc toujours été sur la défensive concernant le thème de la durabilité car nous pensions que notre public était avant tout composé de gens qui aimaient l’huile et les pneus alors même que les constructeurs automobiles présents en F1 ont dépensé des milliards pour le développement de nos moteurs. Ils continuent d’ailleurs de le faire. On vient donc d’introduire 10% de carburant renouvelable cette année et on passera à 100% en 2025. On a fourni des efforts qu’aucune autre discipline n’a fait mais on a juste été très mauvais sur la communication. La Formule 1 en prend désormais conscience car elle se rend compte auprès de ses annonceurs que le thème de la durabilité est important. Le monde change et, pour nous aussi, c’est une question récurrente de la part de nos sponsors. Mais quand on explique ce qu’on a fait, le message est vite compris. En fait, la Formule 1 est le meilleur laboratoire de recherche au monde.

Autre sujet actuel, les femmes en Formule 1. Cela fait plus de 40 ans qu’une femme n’a pas participé à un grand prix de Formule 1. Que manque-t-il?

Il y a quand même eu Susie Wolff qui a tourné lors des essais de grands prix d’Allemagne et de Grande-Bretagne en 2014 et qui était plus que remarquable au volant. Elle a d’ailleurs eu une belle carrière en DTM et David Coulthard s’en souvient encore très bien! Nous-mêmes, chez Sauber, avons fait rouler Tatiana Calderon. Mais c’est vrai qu’on parle d’un sport où la performance est le critère numéro 1. C’est une discipline dans laquelle on veut mélanger les hommes et les femmes alors qu’il n’y a de la place que pour 20 pilotes.Est-ce qu’une femme figure parmi ces 20 pilotes? Malheureusement, statistiquement, la réponse est non car il n’y a pas assez de filles qui commencent le karting en très bas âge. Sans être sexiste, pour l’instant, chez les plus jeunes, il n’y a encore que 99% de garçons. On peut essayer d’aider des jeunes filles de 18 ans et plus mais c’est déjà trop tard car il y a un décalage de niveau. Si l’on veut vraiment aider des filles, il faudrait le faire dès leur plus jeune âge.

Est-ce que justement Netflix peut contribuer à cela en attirant des femmes à suivre la Formule 1 avec la série «Drive to Survive»? D’ailleurs, comment voyez-vous l’engouement suscité par cette série?

Cette série est très clairement un succès et très clairement aussi une des raisons du l’actuel regain d’intérêt pour la Formule 1. Cela a attiré énormément de nouveaux spectateurs et de téléspectateurs. Cela en outre avec des profils différents. Beaucoup plus de femmes justement et beaucoup plus de jeunes. Nous avions des spectateurs vieillissants, ceux qui avaient connu les années Prost Senna et là, on a renouvelé complétement l’audience. Et c’est la raison numéro un de l’actuel boom de la Formule 1. A tel point que, lorsque je discute, avec nos sponsors, ils nous disent que c’est grâce à cette série que leurs enfants regardent désormais la Formule 1!

 

Crédits Photos: @Laurent Missbauer @David Gagnebin

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