VISITE DE LA FONDATION
GINO MACALUSO

 

Le reportage Sport-Auto.ch du 13 novembre 2024

Rédaction: Laurent Missbauer
Photographies: Laurent Missbauer, Nuno Ferreira, Fondation Gino Macaluso et DR

Gino Macaluso était bien connu dans le canton de Neuchâtel. Il était en effet le propriétaire de la manufacture horlogère Girard-Perregaux de 1992 jusqu’à son décès, survenu inopinément le 27 octobre 2010 à La Chaux-de-Fonds, alors qu’il n’était âgé que de 62 ans. Ce que beaucoup ignoraient, c’est qu’il avait réuni une incroyable collection de voitures. Celles-ci sont désormais rassemblées au sein de la Fondation Gino Macaluso, créée en 2018. Cette collection a débuté avec la Fiat X1/9 pilotée il y a exactement 50 ans au Tour d’Italie par Clay Regazzoni, dont Gino Macaluso était le navigateur. Nous avons eu le privilège de visiter cette collection – une des plus importantes au monde en ce qui concerne les voitures de rallye – avec l’un de ses enfants, Stefano Macaluso, qui possède la double-nationalité suisse et italienne et qui a été le curateur il y a deux ans de l’exposition «The Golden Age of Rally» au Musée national de l’automobile de Turin.

Quel est le point commun entre Jean Todt (photo de gauche ci-dessous) et Gino Macaluso (avec une pull brun à côté de Clay Regazzoni sur la photo ci-dessous à droite)? En vérité, il y en a plusieurs. Tous deux ont d’abord été des copilotes de rallye à succès. Le premier a ainsi été vice-champion du monde en 1981, aux côtés de Guy Fréquelin sur une Talbot Lotus. Quant au second, il a commencé par remporter le titre de champion d’Europe en 1972, avec Raffaele Pinto sur une Fiat 124 Spider, puis le titre de champion d’Italie en 1974, aux côtés de Maurizio Verini sur une Fiat 124 Abarth.

Tous deux nourrissaient également une grande passion pour les montres. La vente aux enchères, il y a deux ans, des 111 montres d’exception de l’ancien directeur de Ferrari, marque avec laquelle Girard-Perregaux a été liée pendant de nombreuses années, avait rapporté 32,3 millions d’euros. Parmi les montres vendues à cette occasion, on relèvera une Girard-Perregaux Tourbillon spécialement manufacturée en 2002 pour Jean Todt à l’occasion du 5e titre de champion du monde de F1 remporté par Michael Schumacher. Une montre dont le cadran comportait une reproduction du casque de Michael Schumacher, les initiales J. T. et le célèbre cheval cabré de Ferrari.

Enfin, aussi bien Jean Todt que Gino Macaluso ne se contentaient pas de leur rôle de copilote, ils ont également pris une part prépondérante dans l’organisation de leurs équipes officielles respectives: Peugeot Talbot Sport pour l’un et Fiat Abarth pour l’autre. Mieux, ils ont été tous les deux à l’origine de ce qui devait être l’arme absolue pour leur employeur, à savoir la Peugeot 205 Turbo 16 pour Jean Todt et la Fiat X1/9 Abarth pour Gino Macaluso.

Si la 205 Turbo 16 a permis à Peugeot de remporter deux titres mondiaux des constructeurs (1985 et 1986), la carrière de la X1/9 Abarth a rapidement été écourtée. Elle a dû en effet céder sa place à la Fiat 131 Abarth chargée de promouvoir à partir de 1975 les ventes de la 131 dévoilée à la fin de l’année 1974. Cela un peu de la même manière que la 205 Turbo 16 devait booster les ventes de la 205.

Si l’on peut comprendre que les responsables de Fiat aient préféré choisir une berline produite en grande série plutôt qu’un petit coupé à moteur central, la X1/9 Abarth conçue sous la responsabilité de Gino Macaluso possédait néanmoins de nombreux atouts. Avec son poids de seulement 750 kg, elle était en effet plus légère que la Lancia Stratos et, propulsée par le moteur de 210 ch de la 124 Abarth, elle était à la fois très maniable et facile à conduire. Et puis, elle bénéficia d’un capital de sympathie énorme en ayant été pilotée, lors de sa deuxième sortie, par Clay Regazzoni au Giro d’Italia Automobilistico de 1974.

A chaque contrôle horaire, le pilote tessinois de Ferrari, à peine rentré des Etats-Unis en tant que vice-champion du monde de F1, était abordé par des tifosi en liesse. «Clay Regazzoni et mon père qui le naviguait à cette occasion ont cependant dû abandonner sur ennuis mécniques. La voiture était toutefois compétitive. J’en veux pour preuve la victoire remportée un mois plus tard par Maurizio Verini à la Coppa Liburna», nous explique Stefano Macaluso en nous invitant à entrer dans la halle qui abrite les voitures de compétition.

«Cette Fiat X1/9 Abarth occupait une place particulière dans le cœur de mon père. C’est avec elle qu’il a terminé sa carrière de copilote avant de se lancer dans l’horlogerie, c’est avec elle qu’il a navigué Clay Regazzoni, le pilote le plus célèbre de tous ceux dont il a été le navigateur, et c’est aussi avec elle qu’il a débuté sa collection», précise Stefano Macaluso. Une collection qui a commencé un peu par hasard. «Un jour, en 1984, une connaissance a dit à mon père que la X1/9 avec laquelle il avait couru à la fin de l’année 1974 avec Clay Regazzoni disputait encore des slaloms. Mon père a alors immédiatement décider de la racheter pour la restaurer et la remettre dans sa configuration du Giro d’Italia», relève Stefano Macaluso. «C’est donc cette X1/9 qui a été à l’origine de la collection de mon père et vous avez eu une excellente idée de consacrer un reportage à notre fondation à l’occasion de ce 50e anniversaire.»

«Cette voiture est également associée à un moment très important pour moi», poursuit Stefano Macaluso. «C’est en effet avec elle que j’ai pu vivre mes premières émotions dans une épreuve spéciale de rallye, événement doublement important car j’étais à coté de mon père qui pilotait sa bien aimée Fiat X1/9 Abarth. C’était lors de la Targa Florio Storica de 1990. Nous y étions ouvreurs, ce qui explique l’absence de casques et surtout mon jeune âge, puisque je n’étais âgé que de 15 ans!»

En nous montrant les différentes voitures de la Fondation Gino Macaluso – dont le but est notamment de promouvoir le patrimoine culturel automobile tout en favorisant la transmission de la passion pour le sport, la restauration et le design automobile auprès des nouvelles générations – , Stefano Macaluso nous raconte de nombreuses anecdotes sur tel ou tel autre véhicule. Sa passion est immense et son plaisir de la partager l’est tout autant. C’est d’ailleurs lui qui a été le curateur de la magnifique exposition «The Golden Age of Rally» présentée il y a deux ans au Musée mational de l’automobile de Turin, exposition dont vous pouvez voir ici de nombreuses photos.

Ce qui est particulièrement intéressant avec cette collection, c’est qu’elle regroupe la plupart des plus importantes voitures de rallye des quatre décennies 60, 70, 80 et 90. Parmi elles, on citera par exemple la Mini Cooper S au volant de laquelle Timo Mäkinen remporta le Rallye des 1000 Lacs en 1967. Cela malgré le fait que le capot du moteur se soit ouvert en pleine épreuve spéciale!

A travers sa collection, Gino Macaluso a aussi voulu rendre hommage à Turin, sa ville natale, berceau de Fiat et de Lancia. Le regretté patron de Girard-Perregaux considérait l’automobile comme «l’expression la plus intense de la créativité du XXe siècle». Du coup, le fait que cette créativité soit associée à Turin le remplissait de fierté. Un autre clin d’œil à sa région natale est constitué par le fait que Gino Macaluso a également acheté les trois Lancia engagées dans les courses d’endurance, à savoir la Beta Montecarlo Turbo, la LC1 e la LC2. Et ce clin d’œil est double car les trois voitures portent les couleurs de Martini, une entreprise originaire elle aussi de Turin.

Quatre des sept Lancia de rallye de la collection Macaluso portent elles aussi les couleurs Martini. Il s’agit, par ordre chronologique, de la Lancia 037 ex-Bettega de 1984, de la Delta S4 ex-Alen de 1986, de la Delta Integrale ex-Auriol de 1990 et de la Delta Integrale «Safari» ex-Kankkunen de 1992. Cette dernière se trouve dans un état d’origine exceptionnel. Sa livrée Martini est par exemple d’époque, contrairement à celles de la 037 et de la Delta S4 qui, après couru avec l’équipe d’usine, ont ensuite été vendues à l’écurie Jolly Club qui les faisait courir avec les couleurs Totip.

«Notre Delta ex-Kankkunen possède tous ses accessoires du Safari. Il y a bien entendu, les pare-buffles, le feu supplémentaire à la hauteur du pare-brise du côté du copilote et même une machette, très utile pour se frayer un passage en cas de sortie de piste dans la brousse. Attendez, je vais la sortir de la voiture», s’exclame Stefano Macaluso qui ouvre la porte arrière-droite de la Delta pour en extraire la machette qu’il nous montre avec un large sourire.

Entre cette Delta du Safari et les trois Lancia d’endurance, figurent également les Fiat Cinquecento Kit Car et Fiat Punto Kit Car avec lesquelles Stefano Macaluso et son frère Massimo Macaluso ont tous les deux couru entre la fin des années 1990 et le début des années 2000. Tous deux ont notamment participé au Rallye Monte-Carlo de 2001, chacun au volant d’une Punto Kit Car. Massimo Macaluso a également participé en 2000 au Rallye des Alpes vaudoises avec une Punto. Cette dernière était aussi très importante pour Gino Macaluso. Lorsque la FIA créa en 2001 un championnat du monde Junior afin de favoriser l’éclosion de jeunes talents, il décida de monter un programme ambitieux avec une Fiat Punto Super 1600 aux couleurs des montres suisses Daniel Jeanrichard, une marque du même groupe horloger que Girard-Perregaux. La voiture conservée par la Fondation est celle d’Andrea Dallavilla qui termina vice-champion du monde Junior derrière la Citroën Saxo Super 1600 d’un jeune Alsacien, un certain Sébastien Loeb… Seules huit petites secondes sépareront Andrea Dallavilla (14e) de Sébastien Loeb (13e) à l’arrivée du Tour de Corse de 2001!

Aujourd’hui, les voitures de la Fondation sont régulièrement exposées dans des musées (le Mauto de Turin, le Louwman Museum de La Haye…), lors d’événements tels que le concours d’élégance de Pebble Beach, Passione Engadina à St-Moritz ou Fuori Concorso sur les rives du lac de Côme. Elles sont également engagées dans des compétitions de voitures anciennes comme le San Remo ou le Monte-Carlo historiques. Cette année, par exemple, Stefano Macaluso a participé au Festival of Speed de Goodwood au volant de la Renault 5 Turbo avec laquelle Jean Ragnotti avait remporté le Rallye Monte-Carlo en 1981. La veuve de Gino Macaluso, Monica Mailander Macaluso, présidente de la Fondation Gino Macaluso, conduit régulièrement la Mercedes 300 SL portes papillon. C’était le cas en 2022 à la Targa Florio Classica. En 2021, au Festival of Speed, elle avait piloté la Fiat X1/9 Abarth ex-Clay Regazzoni qui est à l’origine de notre reportage.

La famille Macaluso a par ailleurs tissé des liens étroits avec le Festival of Speed. Son fondateur, le Duc de Richmond, figure ainsi au conseil d’administration de la Fondation Gino Macaluso. Il en va de même pour les anciens responsables de Ferrari, Luca di Montezemolo et Stefano Domenicali. Gravitant lui aussi dans l’univers Ferrari, notamment pour tout ce qui touche à ses aspects juridiques, l’avocat genevois Henry Peter, professeur en droit du sport et fondateur du Centre en philanthropie de l’Université de Genève, siège lui aussi au conseil d’administration de la Fondation Gino Macaluso. On relèvera que celle-ci est active elle aussi dans la philanthropie. La Fondation ouvre ainsi régulièrement ses portes à des organisations caritatives, comme l’association italienne des parents d’enfants atteints d’une tumeur.

Les valeurs fondamentales de la Fondation s’articulent autour «de la passion du sport, de l’esprit d’équipe, de l’amour des belles choses et de la recherche de l’excellence». Monica Mailander Macaluso ainsi que les quatre enfants de Gino Macaluso, Anna, Margherita, Massimo et Stefano, tous membres fondateurs et membres du directoire de la Fondation, ont ainsi accueilli à plusieurs reprises des classes d’étudiants en design.

Giorgetto Giugiaro, sacré designer du XXe siècle, a par exemple expliqué à une classe d’étudiants plusieurs aspects de son travail en commentant les lignes de la Bizzarrini 5300 GT qu’il avait dessinées vers le milieu des années soixante et dont un exemplaire fait également partie de la Fondation Gino Macaluso. Cette Bizzarrini, qui côtoie d’autres voitures de grand tourisme telles que Lamborghini Miura SV, Ferrari F40 et autres Dallara Stradale pour n’en citer que quelques-unes parmi tant d’autres, se trouve dans une autre halle que celle réservée aux voitures de compétition. Quelques jours avant notre visite, la Fondation avait accueilli un groupe de designers du groupe Stellantis. Ceux-ci peuvent certes trouver de nouvelles sources d’inspiration en visitant le Stellantis Heritage Hub de Turin, mais s’ils veulent admirer des voitures qui ne font pas partie du groupe Stellantis, ils trouveront leur bonheur à la Fondation Gino Macaluso.

Outre les Lancia, Fiat, Mini et Renault de rallye déjà évoquées, la collection de la Fondation comprend également la Porsche 911 S avec laquelle Björn Waldegard a terminé 2e au RAC Rally de 1970, l’Alpine A110 victorieuse au Rallye du Maroc de 1973 avec Bernard Darniche, l’Audi Quattro A1 qui a gagné en 1982 au Rallye de Sanremo avec Stig Blomqvist et la Ford Escort pilotée par Roger Clark en 1970 au Rallye Londres-Sidney. C’est avec une Escort similaire que Gino Macaluso avait débuté en rallye en 1968 en tant que copilote de Giancarlo Romano. Et c’est également avec une telle Ford Escort que Jean Todt a terminé en 1969 son premier Rallye Monte-Carlo en tant que navigateur de Jean-François Piot. Encore un point commun entre Gino Macaluso et Jean Todt! Et si ce dernier a été président de la FIA de 2009 à 2021, Gino Macaluso a été élu en 2001 à la présidence de la Fédération italienne de sport automobile. Cela avant de présider à partir de 2005 la Commission internationale de Karting de la FIA, tout en représentant l’Italie au conseil mondial de cette même FIA.

Remerciements
Nous adressons nos plus vifs remerciements à Stefano Macaluso qui nous a permis de visiter la Fondation Gino Macaluso, fondation dont nous vous invitons à parcourir son site internet pour tout renseignement complémentaire.